Après de nombreux mois (et bientôt des années) de télétravail en contexte de crise sanitaire, beaucoup de choses ont été dites sur les enjeux de management à distance des équipes. Les articles et les études se sont essentiellement concentrés sur les facteurs de pérennisation de cette nouvelle réalité, en considérant que de nombreuses activités seraient désormais réalisées à distance et que cela entraînerait, dès à présent, une reconfiguration du monde du travail. Par exemple, la nouvelle politique salariale appliquée par Google, qui tient compte du lieu de résidence déclaré par le collaborateur et vérifié par son adresse IP constitue, un des signaux clairs de cette nouvelle tendance.
Voici quelques réflexions inspirées des pratiques du management stratégique pour faire les bons choix en matière d’organisation du travail.
On assiste à une reconfiguration des modalités de travail
Les dirigeants sont aujourd’hui amenés à réfléchir à l’impact des nouvelles modalités de travail sur la mise en œuvre d’une stratégie d’entreprise durable, au-delà de la question du télétravail. Ce nouveau défi remet non seulement en cause le management des équipes et les formes de collaboration, mais plus largement la culture, les valeurs et les approches en termes d’innovation. Cela est d’autant plus vrai pour les entreprises qui obligent leurs collaborateurs à revenir au bureau, créant ainsi une nouvelle forme de démobilisation voire des tensions qui mènent à une détérioration du climat de travail.
Aujourd’hui, la reconfiguration des organisations est donc au cœur des réflexions des dirigeants. Cela implique naturellement un questionnement sur les nouvelles conditions de travail, sur la structure organisationnelle, sur les opportunités de développement de carrière ainsi que sur les rémunérations et les avantages. La qualité de vie au travail, qui se concrétisait dans « le monde d’avant » par des fauteuils confortables, des programmes de développement des talents, des programmes d’intégration, des déjeuners entre collègues, des ateliers créatifs et des séminaires de formation, nécessite aujourd’hui un nouveau modèle et un positionnement clair.
Pour accompagner les dirigeants dans leur réflexion, voici de quoi s’inspirer de Nouvelles pratiques de management stratégique.
Les questions clés qui structurent ces choix stratégiques sont :
- Sur quel marché souhaitons-nous nous positionner ?
- De quelles ressources disposons-nous ?
- Quelle est la valeur créée par l’organisation ?
- Comment pouvons-nous rendre cette valeur ajoutée durable dans le temps ?
Tout choix concernant l’organisation du travail doit nécessairement prendre en compte ces éléments : définir comment les collaborateurs peuvent aider à la création de valeur et la durabilité de l’entreprise ; s’interroger sur les ressources mises à disposition pour le faire (où se crée la valeur ?) et de moyens (quelles sont les conditions pour créer la valeur ?).
Quel niveau de flexibilité doit-on donner aux collaborateurs concernant leur lieu de travail ? Cela implique de faire un choix entre différents niveaux de flexibilité : 100% à distance ou 100% au bureau ; télétravail partiel ou présence partielle au bureau avec des dates fixes ; combinaison de télétravail et de travail au bureau avec des dates stables adaptées à chacun ; liberté totale dans le choix quotidien du lieu de travail pour chaque collaborateur.
Autre paramètre moins évident pour les entreprises : quelles conditions et ressources vont devoir être déployées ? Elles doivent être adaptées non seulement à ce qui est possible au sein de l’entreprise, mais aussi aux différents modes de travail. Elles peuvent être physiques (équipement de travail), liées aux avantages et bénéfices offerts (restauration et services complémentaires aux collaborateurs), aux services informatiques (ordinateurs, écrans, vitesse de connexion, logiciels…) ou au développement des collaborateurs (formation, processus d’intégration, coaching, mentoring…)
Le choix stratégique des dirigeants doit donc se faire entre différents modèles d’organisation du travail.
L’organisation classique correspond aux entreprises qui structurent les activités pour aider collectivement leurs collaborateurs à avoir une vie de travail épanouie et performante dans le nouveau normal (accord QVT, principes avec des minimums et des maximums de jours en télétravail, des règles à respecter avec des moments de présence obligatoire…). Elles s’inscrivent dans la continuité de l’évolution naturelle commencée avant la crise sanitaire, d’où le qualificatif « classique ».
Exemple : tout en établissant un nouvel accord QVT global, permettant à chacun d’avoir jusqu’à trois jours de télétravail par semaine, CNP Assurances a favorisé l’échange au sein des équipes pour s’assurer que les jours présentiels choisis par chacun favorisent la collaboration, facteur important de mobilisation pour tous.
L’organisation nomade correspond aux entreprises qui décident de ne plus investir dans les conditions et les ressources au bureau (imposant ainsi le travail à distance), pouvant aller jusqu’à ne plus avoir d’existence physique sous forme de bureau. Ces entreprises proposent la meilleure expérience possible de travail à la maison (fauteuil, ordinateur, écran, casque, réseau, outil collaboratif…) ou ailleurs (possibilité d’accès à des tiers-lieux), permettant ainsi une grande liberté de mouvement aux collaborateurs, d’où le qualificatif « nomade ».
Exemple : la politique de Facebook permet à ses employés de travailler de chez eux et propose une aide pour mieux équiper son environnement de travail.
L’organisation collaborative correspond aux entreprises qui ont choisi d’offrir la meilleure expérience possible au bureau pour donner envie aux collaborateurs de venir rencontrer leurs collègues – d’où le qualificatif « collaboratif » – sans leur imposer pour autant la présence au bureau par des accords ou des dates obligatoires. Le lieu de travail doit leur faciliter la vie quotidienne, la rendre belle, joyeuse, collective, stimulante et performante.
Exemple : Orange et son immeuble Bridge, qui regroupe dix sites au sein d’un même bâtiment, conçu pour donner envie aux équipes de venir au bureau, avec une « horizontalité » permettant plus de transversalité.
L’organisation individualisée correspond aux entreprises qui donnent une totale liberté individuelle aux collaborateurs pour travailler où ils veulent, quand ils veulent, comme ils veulent, en exprimant leurs propres besoins. Cette liberté crée une culture de la confiance, de l’autonomie et de la responsabilisation (management par objectifs) – facteur majeur de mobilisation des collaborateurs. Elle permet à chacun d’adapter son mode de travail, au bureau ou à distance, selon les moments de sa vie et selon ses envies, d’où le qualificatif « individualisé ».
Exemple : Microsoft met désormais en oeuvre une politique RH souple qu’illustre bien la phrase « Work is no longer a place we go – it’s a thing we do » (« le travail n’est plus un endroit où on va, mais une chose que l’on fait »).
La meilleure solution n’est pas forcément un modèle figé mais il est utile de considérer ces réflexions. Il est possible d’être à l’intersection de deux modèles, ou en évolution d’un modèle vers l’autre. En effet, chaque modèle peut être appliqué de manière spécifique pour des sous-parties de l’entreprise, en fonction des métiers, des cultures, des besoins… Il est donc essentiel de fonder cette stratégie sur la base d’une écoute approfondie des collaborateurs pour comprendre l’expérience qu’ils souhaitent vivre et qui contribuera à leur épanouissement et à leur performance.